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COUR D’APPEL DE L’ONTARIO

RÉFÉRENCE: Lake c. La Presse, 2022 ONCA 742

DATE: 20221031

DOSSIER: C69559

Les juges van Rensburg, Pardu et Copeland

ENTRE

Merida Lake

Demanderesse (Appelante)

et

La Presse (2018) Inc.

Défenderesse (Intimée)

Mes Dorian Persaud et Morgan Rowe, pour l’appelante

Mes Sébastien Lorquet et Véronique Champoux, pour l’intimée

Date de l’audience: 21 septembre 2022

Appel du jugement rendu le 21 mai 2021 par la juge Jasmine T. Akbarali de la Cour supérieure de justice (motifs publiés à 2021 ONSC 3506)

La juge van Rensburg:

A.           Introduction

[1]          Il s’agit de l’appel d’un jugement sommaire rendu dans une action pour congédiement injustifié. La juge saisie de la motion a accordé à l’appelante des dommages-intérêts équivalents à un préavis raisonnable de six mois après avoir retranché deux mois en raison du défaut de l’appelante de limiter le préjudice et pour tenir compte de l’indemnité que lui avait déjà versée l’intimée au cours de la période de préavis. La seule question à trancher dans le cadre du présent appel est celle de savoir si la juge saisie de la motion a commis une erreur en réduisant les dommages-intérêts pour congédiement injustifié accordés à l’appelante en raison de l’omission de cette dernière de limiter son préjudice.

[2]          Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec l’appelante pour dire que la juge saisie de la motion a commis une erreur en réduisant les dommages-intérêts accordés à l’appelante au motif qu’elle aurait omis de limiter son préjudice. Je suis d’avis d’accueillir l’appel et de calculer les dommages-intérêts pour congédiement injustifié de l’appelante en fonction d’une période de préavis raisonnable de huit mois, sans en retrancher les deux mois soustraits par la juge saisie de la motion.

B.           LES FAITS

[3]          L’intimée est un quotidien en ligne de langue française dont le siège se trouve à Montréal, au Québec. L’appelante a été embauchée en août 2013 et a travaillé pour l’intimée pendant cinq ans et demi comme directrice générale. Elle était l’employée la plus haut placée de la division de Toronto et relevait du vice-président des ventes et de l’exploitation, qui travaillait à Montréal. Dans le cadre de ses fonctions, elle était chargée de gérer l’équipe des ventes pour générer des revenus publicitaires à Toronto et au Canada anglais. À un moment donné, treize personnes relevaient directement d’elle et au moment de son congédiement, il y en avait huit. L’appelante gagnait un salaire de base de 185 000 $ par année et avait droit à d’autres avantages, notamment une allocation d’automobile et une prime. Elle était âgée de 52 ans au moment de son congédiement.

[4]          L’intimée a mis fin à l’emploi de l’appelante après avoir décidé de fermer son bureau de Toronto. L’appelante a été informée le 25 mars 2019 que son emploi prendrait fin le 30 mai, mais elle a en fait cessé de travailler le 30 avril 2019. Après son congédiement, l’appelante a entrepris des recherches d’emploi, mais était toujours sans emploi à la date de la motion en jugement sommaire, deux ans après son congédiement.

C.           LA DÉCISION DE LA JUGE SAISIE DE LA MOTION

[5]          Les parties s’entendaient pour dire que l’appelante avait été congédiée sans motif valable et qu’elle avait droit à un préavis raisonnable en common law. Les principales questions soulevées par la motion en jugement sommaire étaient celle de la période de préavis raisonnable, celle de savoir si l’appelante avait droit à une indemnisation pour la perte de sa prime au cours de la période de préavis raisonnable et celle de savoir si la période de préavis de l’appelante devait être réduite en raison de son omission de limiter son préjudice.

[6]          Pour déterminer la période de préavis raisonnable, la juge saisie de la motion a appliqué les facteurs énoncés dans la décision Bardal v. Globe & Mail Ltd. (1960), 24 D.L.R. (2d) 140 (H.C. Ont.). Après avoir examiné le rang occupé par l’appelante au sein de la hiérarchie — elle occupait un poste de responsabilité auprès de l’intimée, mais n’était pas un membre clé de l’équipe de direction —, la durée de son emploi, son âge à la date de son congédiement et son expérience en ventes et en gestion, surtout dans l’industrie des médias, ainsi que la jurisprudence soumise par les parties, la juge saisie de la motion a établi à huit mois la période de préavis raisonnable. Appliquant à la preuve le critère énoncé dans l’arrêt Paquette v. TeraGo Networks Inc., 2016 ONCA 618, 34C.C.E.L. (4th) 26, la juge saisie de la motion a interprété le régime de primes de l’intimée et conclu que l’appelante aurait eu droit à une prime annuelle de 39 065 $.

[7]          En ce qui a trait à la question de la limitation du préjudice, la juge saisie de la motion a reconnu qu’il incombait à l’intimée d’établir que l’appelante n’avait pas limité son préjudice, ajoutant que l’analyse comportait deux volets: il s’agissait tout d’abord de déterminer si l’appelante avait pris des mesures raisonnables pour limiter son préjudice et, en second lieu, de savoir si elle aurait probablement trouvé un emploi équivalent si elle avait pris de telles mesures. La juge saisie de la motion a conclu que les mesures prises par l’appelante pour limiter son préjudice n’étaient pas raisonnables, et ce, pour les motifs suivants: a) elle avait attendu trop longtemps avant d’entreprendre ses recherches d’emploi; b) elle avait « visé trop haut » en posant sa candidature à des postes de vice-président(e) et aurait aussi dû postuler à des postes moins élevés dans l’éventualité où elle serait demeurée sans emploi; c) elle avait attendu trop longtemps avant de postuler à des emplois et elle avait soumis très peu de demandes d’emploi. La juge saisie de la motion a ensuite déclaré, au par.69:

Dans ces circonstances, je déduis que, si [l’appelante] avait élargi les paramètres de sa recherche d’emploi, cherché un emploi plus tôt et présenté un plus grand nombre de demandes d’emploi, elle aurait amélioré considérablement ses chances d’obtenir un poste. Bien qu’aucune preuve directe ne m’ait été présentée au sujet d’autres postes auxquels [l’appelante] aurait pu poser sa candidature, j’estime qu’il est raisonnable de présumer qu’il y en avait. Si des postes de vice-président étaient disponibles, des postes moins élevés l’étaient aussi. La demanderesse a choisi de façon déraisonnable de limiter sa recherche d’emploi, ce qui a eu un impact correspondant sur sa capacité de trouver du travail.

 

La juge saisie de la motion a réduit de deux mois la période de préavis pour tenir compte de l’omission de l’appelante de prendre des mesures raisonnables pour limiter son préjudice.

[8]          La juge saisie de la motion a rendu un jugement en faveur de l’appelante pour un montant total de 97 491,87$. Ce montant était constitué des dommages-intérêts pour perte de prime pour la période du 1erjanvier au 26 mars 2019 (l’appelante travaillait alors toujours pour l’intimée) et des dommages-intérêts pour congédiement injustifié, correspondant à six mois du salaire prévu par son régime de rémunération, moins 40,026,22$, c’est-à-dire la somme qu’elle avait déjà reçue de l’intimée. La juge saisie de la motion a adjugé à l’intimée des dépens d’indemnisation partielle au motif qu’elle avait soumis, au début de l’instance, une offre de transaction pour un montant supérieur à celui du jugement.

D.           Questions à trancher en appel

[9]          L’appelante affirme que les deux volets de l’analyse de la juge saisie de la motion au sujet des mesures prises pour limiter le préjudice étaient entachés d’erreurs. À la première étape de l’analyse, la juge saisie de la motion a commis une erreur en concluant que l’appelante n’avait pas pris de mesures raisonnables pour limiter son préjudice. L’appelante fait valoir que : (i) la juge saisie de la motion a mal interprété la preuve en concluant que l’appelante avait attendu trop longtemps avant d’entreprendre ses recherches d’emploi; (ii) la juge saisie de la motion a commis une erreur de principe en laissant entendre que l’appelante aurait dû éventuellement postuler à des emplois moins rémunérateurs; (iii) la juge saisie de la motion a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que l’appelante avait « visé trop haut » en limitant sa recherche à des emplois qui auraient en fait constitué une promotion pour elle. À la seconde étape de l’analyse, la juge saisie de la motion a commis une erreur en émettant une hypothèse sans disposer de preuves à l’appui et en réduisant les dommages-intérêts accordés à l’appelante sans avoir d’abord conclu que l’appelante aurait trouvé un poste comparable si elle avait pris des mesures raisonnables pour limiter son préjudice.

E.           Discussion

[10]       Je vais tout d’abord résumer les principes juridiques applicables en matière de limitation du préjudice en cas de congédiement injustifié.

[11]       La décision de principe est l’arrêt Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324. L’obligation de limiter le préjudice part du principe que le défendeur n’est pas tenu d’indemniser le demandeur des pertes qu’il aurait raisonnablement pu éviter. Si le défendeur affirme que le demandeur aurait pu raisonnablement minimiser en partie la perte alléguée, « il incombe au défendeur d’en faire la preuve, à moins que ce dernier ne se contente de laisser au juge de première instance le soin de trancher cette question à la lumière de son évaluation de la preuve des conséquences évitables fournie par le demandeur » (p. 331). Il incombe au défendeur de prouver que le demandeur « a trouvé un autre emploi semblable et approprié à ses talents ou qu’il aurait pu trouver un tel emploi s’il avait déployé l’effort nécessaire » (p. 332). L’obligation qui incombe au défendeur « n’est certes rien de facile, car il s’agit d’une situation où une partie, déjà coupable d’inexécution, demande à l’autre partie, qui souvent n’a rien à se reprocher, d’accomplir des gestes concrets » (p. 332).

[12]       Bien que l’employé qui a été congédié ait l’obligation de prendre des mesures raisonnables pour limiter son préjudice, c’est au défendeur qu’il incombe de démontrer que le demandeur aurait raisonnablement pu éviter la perte ou qu’il a agi de façon déraisonnable en omettant de le faire (Gryba v. Moneta Porcupine Mines Ltd. (2000), 5 C.C.E.L. (3d) 43 (C.A. Ont.), par. 57). Le défendeur doit prouver : (1) que le demandeur n’a pas pris de mesures raisonnables pour limiter son préjudice, et (2) que, s’il l’avait fait, on aurait pu s’attendre à ce qu’il obtienne un poste comparable raisonnablement adapté à ses capacités (Link v. Venture Steel Inc., 2010 ONCA 144, 79 C.C.E.L. (3d) 201, par. 73).

[13]       La détermination de la question de savoir si l’employé congédié a pris des mesures raisonnables pour limiter son préjudice, notamment si son omission de limiter son préjudice a contribué en partie à la perte qu’il a subie, est en grande partie une question de fait. À défaut d’erreur de principe ou d’erreur manifeste et dominante, la décision rendue au sujet de la limitation du préjudice commande la déférence en appel (Humphrey v. Menē Inc., 2022 ONCA 531, par. 53; McNevan v. AmeriCredit Corp., 2008 ONCA 846, 94 O.R. (3d) 458, par. 67).

Première question: la juge saisie de la motion a-t-elle commis une erreur en concluant que l’appelante n’avait pas pris de mesures raisonnables pour limiter son préjudice?

[14]       L’appelante fait valoir que la juge saisie de la motion a commis trois erreurs à la première étape de l’analyse de la limitation du préjudice. Tout d’abord, la juge saisie de la motion a commis une erreur en concluant que l’appelante avait attendu trop longtemps avant d’entreprendre ses recherches d’emploi. L’appelante soutient que la juge saisie de la motion a mal interprété la preuve lorsqu’elle a conclu « qu’elle n’a rien ou pratiquement rien fait en mai 2019 pour chercher du travail ». Ensuite, la juge saisie de la motion a commis une erreur de principe en lui reprochant de ne pas avoir postulé à des emplois moins rémunérateurs que celui dont elle avait été congédiée. Enfin, la juge saisie de la motion a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que l’appelante avait « visé trop haut » en limitant ses recherches d’emploi à des postes qui auraient en fait constitué une promotion pour elle par rapport à son poste précédent. L’appelante soutient que la juge saisie de la motion a accordé trop d’importance au titre des postes auxquels elle avait postulé et qu’elle a ignoré les éléments de preuve démontrant qu’elle avait axé sa recherche d’emploi sur des postes comportant des fonctions et une rémunération comparables.

[15]       L’intimée affirme qu’il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la conclusion de la juge saisie de la motion suivant laquelle l’appelante n’a pas pris de mesures raisonnables pour limiter son préjudice. Il était loisible à la juge saisie de la motion de conclure que les mesures prises par l’appelante pour limiter son préjudice n’étaient pas raisonnables, une conclusion qu’elle a tirée après avoir évalué globalement l’ensemble de la preuve.

[16]       J’estime que le premier moyen invoqué par l’appelante est mal fondé. La juge saisie de la motion n’a pas commis d’erreur en concluant que l’appelante avait tardé de façon déraisonnable à entamer ses recherches d’emploi.

[17]       La juge saisie de la motion a examiné le témoignage donné par l’appelante en contre-interrogatoire et conclu que les mesures que l’appelante affirmait avoir prises avant le 3 juin 2019 étaient en fait des mesures qu’elle avait prises après cette date. La juge saisie de la motion a expliqué ses conclusions au par. 67 de ses motifs, en mentionnant le tableau auquel l’appelante s’était référée pour répondre aux questions qui lui avaient été posées au sujet de la date à laquelle elle avait commencé ses recherches d’emploi, ainsi que les notes que l’appelante avait consultées lors de son interrogatoire. Vu l’ensemble de la preuve, il était loisible à la juge saisie de la motion de conclure que l’appelante n’avait pratiquement rien fait avant le 3 juin pour chercher du travail.

[18]       Je suis toutefois d’accord avec l’appelante pour dire que la juge saisie de la motion a commis les deux autres erreurs qu’elle lui reproche.

[19]       La juge saisie de la motion a commis une erreur de principe lorsque, au par. 65, elle a accepté que, dans le cadre des mesures prises pour limiter le préjudice, après une période raisonnable consacrée à la recherche d’un emploi similaire, l’employé congédié doit commencer à chercher un emploi moins bien rémunéré (des propos qui étaient tirés d’observations incidentes formulées par le juge de première instance dans le jugement Neilipovitz v. ICI Paints (Canada) Inc. (2002), 27 C.C.E.L. (3d) 256 (C.S. Ont.), par. 25-26). Elle a également commis une erreur de principe en concluant ensuite, au par. 68, que l’appelante aurait dû aussi poser sa candidature à un poste de représentante des ventes si elle demeurait sans emploi. L’obligation de l’employé congédié de prendre des mesures pour limiter son préjudice consiste à chercher un « emploi comparable », qui est généralement un emploi qui se compare, en termes de statut, d’horaire et de rémunération, au poste occupé au moment du congédiement (Carter v. 1657593 Ontario Inc., 2015 ONCA 823, par. 6). L’appelante n’était nullement tenue de chercher un travail moins rémunérateur, notamment comme représentante des ventes.

[20]       Lorsque l’intimée a donné à entendre à l’appelante en contre-interrogatoire qu’elle aurait peut-être pu se porter candidate à des postes de représentant(e) des ventes à Toronto qui offraient une rémunération similaire, l’appelante a répondu qu’elle était surqualifiée en raison des 25 années d’expérience qu’elle avait accumulées et que, d’après son expérience, de tels postes entraîneraient [TRADUCTION] « une baisse de salaire appréciable ». À défaut de preuve contraire, cela constituait une réponse complète à l’affirmation de l’intimée selon laquelle l’appelante n’avait pas pris de mesures raisonnables pour limiter son préjudice en ne posant pas sa candidature à des postes de représentant(e) des ventes.

[21]       La juge saisie de la motion a également commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a conclu que l’appelante avait visé trop haut en posant sa candidature à des postes de vice-président(e) et en limitant sa recherche d’emploi à des emplois qui auraient en fait constitué une promotion pour elle par rapport à son poste précédent.

[22]       L’appelante a soumis une preuve abondante pour démontrer les mesures qu’elle avait prises pour limiter son préjudice. Elle a expliqué en détail les efforts qu’elle avait faits pour rechercher des emplois sur des sites tels que LinkedIn et d’autres sites de recrutement en ligne, et ce, presque chaque jour. Elle a utilisé des mots-clés pertinents au regard de l’éventail de titres de postes qu’elle avait relevés comme étant éventuellement comparables et qui ne se limitaient pas à des postes de vice-président(e). Elle a relaté ses démarches de réseautage, y compris sa participation à des rencontres individuelles et à des conférences. Elle a recouru aux services de réorientation de carrière fournis par l’intimée et elle a payé les services d’un accompagnateur privé en gestion de carrière.

[23]       Dans l’affidavit qu’elle a souscrit, l’appelante a affirmé que, dans le cadre de ses recherches d’emploi, elle avait posé sa candidature à 20 postes convenables. Au cours de son contre-interrogatoire, on lui a demandé ce qu’elle entendait par « postes convenables ». Voici ce qu’elle a répondu:

[TRADUCTION]

Par « postes convenables », je veux dire des postes pour lesquels je possédais les compétences requises. À titre indicatif, je vous dirais que, lorsque je cherchais un emploi, je visais un poste de direction, par exemple directeur/directrice des ventes, chef des ventes, vice-président(e) des ventes. Je voulais que le poste soit basé à Toronto. Je voulais qu’il soit à temps plein, et c’est probablement tout. Je ne cherchais pas un poste de représentante. Je voulais gérer des gens. C’est mon expertise et ma compétence. Donc, lorsque je dis « convenable », je veux dire un poste qui correspondait à mes critères, mais pour lequel j’étais également compétente.

L’appelante a clairement indiqué qu’elle avait postulé à des emplois qui correspondaient à son expérience professionnelle et à ses compétences, plutôt que de se concentrer sur les titres des postes. Par exemple, elle a déclaré que certains des emplois pour lesquels elle avait postulé portaient le titre de « vice-président(e) », mais que, selon la description de poste, il s’agissait en réalité d’un poste de directeur/directrice — une fonction que l’appelante avait occupée chez divers employeurs tout au long de sa carrière. Elle a ensuite indiqué que, au cours de ses recherches d’emploi en ligne, elle avait utilisé des mots-clés comme [traduction] « directeur/directrice des ventes, chef des ventes, directeur/directrice général(e), vice-président(e) », et a précisé une fois de plus que le titre du poste, comme celui de « vice-président(e) », ne reflétait pas nécessairement les attributions du poste.

[24]       La juge saisie de la motion a rejeté l’argument de l’appelante que, même si le titre des postes pour lesquels elle avait postulé laissait entendre qu’ils étaient élevés dans la hiérarchie, les responsabilités de ces postes ressemblaient à celles qu’elle avait déjà exercées, après avoir fait observer qu’on ne trouvait au dossier aucune preuve des descriptions de tâches liées à ces postes. Elle a dit qu’elle pouvait difficilement accepter que « les neuf postes de vice-président qui ont été annoncés aient exigé du candidat retenu qu’il exerce des fonctions habituellement exercées par des subalternes ». En raison de ce doute, la juge saisie de la motion a conclu que l’appelante avait surtout cherché des emplois qui représenteraient une promotion par rapport à son emploi antérieur.

[25]       À mon avis, la juge saisie de la motion a accordé trop d’importance au titre de certains des emplois pour lesquels l’appelante avait postulé, sans tenir compte du témoignage de l’appelante portant que les postes en question étaient semblables à ceux pour lesquels elle possédait de l’expérience. Sans disposer de preuve contredisant l’affirmation de l’appelante selon laquelle les postes de vice-président(e) comportaient des fonctions semblables à celles de son emploi précédent, la juge saisie de la motion, en se fondant uniquement sur le titre de ces postes, a formulé l’hypothèse que ces postes n’étaient pas comparables. Cette erreur a influencé sa conclusion que l’appelante n’avait pas pris de mesures raisonnables pour limiter son préjudice.

[26]       L’obligation « d’agir d’une façon raisonnable », s’agissant de la recherche et de l’acceptation d’un autre emploi, s’entend de [traduction] « l’obligation de prendre les mesures que prendrait dans son propre intérêt une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que l’employé congédié [et non] de l’obligation que l’employé congédié aurait à l’égard de son ancien employeur d’agir dans l’intérêt de ce dernier » (Forshaw v. Aluminex Extrusions Ltd. (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 140 (C.A.), p. 143-144).

[27]       Il incombait à l’intimée de prouver que l’appelante n’avait pas limité son préjudice. Habituellement, pour faire valoir que l’employé congédié n’a pas limité son préjudice, l’employeur présente des éléments de preuve en ce sens, bien qu’il puisse s’acquitter de ce fardeau en invoquant la preuve fournie par le demandeur lui-même (Red Deer College, p. 331). Dans le cas qui nous occupe, l’intimée n’a présenté aucune preuve pour contredire le témoignage de l’appelante suivant lequel les postes de vice-président(e) comportaient des fonctions semblables à celles de son emploi précédent et que les perspectives d’emploi dans ce domaine étaient limitées à l’époque.

[28]       Faute de preuve positive de l’intimée ou d’affirmation, lors du contre-interrogatoire, portant que l’appelante n’a pas posé sa candidature à un poste disponible qui était de nature comparable à son ancien poste, le dossier ne permettait pas à la juge saisie de la motion de conclure que l’appelante n’avait pas pris de mesures raisonnables pour limiter son préjudice.

Deuxième question : la juge saisie de la motion a-t-elle commis une erreur dans son examen de la question de savoir si l’appelante aurait trouvé un poste comparable si elle avait pris des mesures raisonnables pour limiter son préjudice?

[29]       L’appelante affirme que, à la deuxième étape de l’examen du critère de la limitation, la juge saisie de la motion a tiré une inférence qui n’était pas appuyée par la preuve. La juge saisie de la motion s’est livrée à des spéculations lorsque, après avoir conclu que l’appelante n’avait pas pris de mesures raisonnables pour limiter son préjudice, elle a déclaré:

[TRADUCTION]

Dans ces circonstances, je déduis que, si [l’appelante] avait élargi les paramètres de sa recherche d’emploi, cherché un emploi plus tôt et présenté un plus grand nombre de demandes d’emploi, elle aurait amélioré considérablement ses chances d’obtenir un poste. Bien qu’aucune preuve directe ne m’ait été présentée au sujet d’autres postes auxquels [l’appelante] aurait pu poser sa candidature, j’estime qu’il est raisonnable de présumer qu’il y en avait. Si des postes de vice-président étaient disponibles, des postes moins élevés l’étaient aussi. [L’appelante] a choisi de façon déraisonnable de limiter sa recherche d’emploi, ce qui a eu un impact correspondant sur sa capacité de trouver du travail.

[30]       L’intimée soutient qu’il était loisible à la juge saisie de la motion de tirer une telle inférence pour satisfaire au second volet du critère de la limitation du préjudice et que la juge saisie de la motion ne s’est pas en fait livré à des spéculations, mais qu’elle a tiré une inférence raisonnable fondée sur la preuve dont elle disposait.

[31]       J’estime que le moyen d’appel invoqué par l’appelante à ce sujet est bien fondé.

[32]       Le second volet du critère de la limitation du préjudice exige du tribunal qu’il soit convaincu que, si des mesures raisonnables avaient été prises, l’employé congédié aurait probablement trouvé un poste comparable dans la période de préavis raisonnable. Comme l’a fait remarquer le juge Ferguson dans la décision Rowe v. General Electric Canada Inc. (1994), 8 C.C.E.L. (2d) 95 (Div. gén. Ont.), par. 14, [traduction] « le manquement du demandeur à son obligation de limiter son préjudice n’est pertinent que s’il est démontré qu’il est la cause [du préjudice subi par le demandeur] ». Dans cette affaire, comme dans la présente, rien ne permettait de conclure que l’employé congédié aurait probablement trouvé un emploi comparable si des mesures raisonnables et appropriées avaient été prises pour limiter le préjudice.

[33]       Je suis d’accord avec l’intimée pour dire que, dans les circonstances appropriées, l’employeur peut satisfaire au second volet du critère de la limitation en tirant une inférence raisonnable des faits établis par la preuve. Dans le jugement Parks v. Vancouver International Airport Authority, 2005 BCSC 1883, par exemple, le tribunal a réduit de sept à cinq mois la période de préavis du demandeur au motif que ce dernier avait attendu trois mois avant d’entamer ses recherches d’emploi, et ce, même si la défenderesse n’avait pas présenté de preuve de postes disponibles, dès lors que le demandeur avait aisément trouvé un poste comparable moins de deux mois après avoir entrepris ses recherches d’emploi. En l’espèce toutefois, rien ne permettait de conclure que, si elle avait posé sa candidature à d’autres postes, l’appelante aurait trouvé un emploi comparable. Le dossier ne permettait tout simplement pas de tirer une telle conclusion en l’espèce.

[34]       En tout état de cause, l’inférence tirée par la juge saisie de la motion n’était pas suffisante pour satisfaire au second volet du critère de la limitation du préjudice. Elle a plutôt inféré que les chances de l’appelante de trouver un poste auraient été considérablement meilleures si elle avait cherché un emploi subalterne et elle a conclu que, si des postes de vice-président(e) étaient disponibles, des postes moins élevés l’étaient également. Même en considérant que l’expression « postes moins élevés » utilisée par la juge saisie de la motion désignait des postes comparables, l’inférence qu’elle a tirée ne vaut que pour sa conclusion que de tels postes étaient disponibles. La juge saisie de la motion n’a pas posé la bonne question à la seconde étape (et elle n’y a pas répondu), en l’occurrence la question de savoir si l’intimée avait démontré que, dans l’hypothèse où elle aurait pris des mesures raisonnables pour limiter son préjudice, l’appelante aurait trouvé un poste comparable pendant la période de préavis raisonnable.

F.           Conclusion ET DispositIF

[35]       Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler le jugement frappé d’appel et de le remplacer par un jugement calculant les dommages-intérêts pour congédiement injustifié en fonction d’une période de préavis de huit mois, sans réduction pour cause d’omission de limiter le préjudice, en soustrayant toutefois à ce montant l’indemnité versée par l’intimée à l’appelante au cours de la période de préavis. Je suis d’avis d’adjuger à l’appelante les dépens de l’appel pour un montant de 20 000$, incluant la TVH et les débours. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur l’adjudication des dépens en première instance, elles peuvent soumettre leurs observations à cette cour par écrit dans un délai de 30 jours.

Rendu le : 31 octobre 2022

« Je souscris. K van Rensburg j.c.a. »

« Je souscris. G. Pardu j.c.a. »

« Je souscris. J Copeland j.c.a. »

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