COUR D’APPEL DE L’ONTARIO
RÉFÉRENCE: C-A Burdet Professional Corporation c. Gagnier, 2016 ONCA 735
DATE: 20161007
DOSSIER: C61579
Les juges Weiler, Blair et van Rensburg
ENTRE
C-A Burdet Professional Corporation et
Claude-Alain Burdet
Appelants
et
Daniel Gagnier
Intimé
Claude-Alain Burdet en personne
Yanik Guilbault pour l’intimé
Date de l’audience : le 19 septembre 2016
En appel de l’ordonnance du juge Ronald M. Laliberté de la Cour supérieure de justice, en date du 18 décembre 2015.[1]
INSCRIPTION
[1] L’intimé a intenté une motion dans une procédure en droit familial visant une ordonnance selon laquelle son ancien avocat, Me Burdet et son cabinet soient tenus de remettre une copie de son dossier à son nouvel avocat, Me Guilbault.
[2] Les appelants se sont opposés à la motion, invoquant un privilège d’avocat sur le dossier en raison d’un montant important de frais légaux impayés. Les comptes de l’avocat comportent des montants avancés à l’intimé afin qu’il honore ses obligations de soutien. Une société à numéro contrôlée par Me Burdet a consenti des prêts à l’intimé, lesdits prêts étant garantis par des hypothèques et d’autres sûretés souscrites par l’intimé et sa société, la Ferme Ste-Rose. Me Burdet et la société à numéro ont intenté auprès de la Cour supérieure une procédure distincte contre l’intimé et sa société concernant les montants qu’ils réclament.
[3] En réponse à la motion visant à obtenir le dossier, les appelants font valoir qu’il n’est pas nécessaire pour le nouvel avocat de l’intimé d’avoir le dossier en entier, y compris les parties ayant trait aux échanges financiers entre les appelants et l’intimé. Les appelants soutiennent que seules les parties relatives aux questions toujours en litige dans la procédure en droit familial, l’égalisation des biens familiaux nets, doivent être produites.
[4] Lors de la première audience concernant la motion le 27 novembre 2015, le juge de motion a ordonné que Me Guilbault puisse se présenter au cabinet de Me Burdet pour revoir le dossier, un exercice que le juge a plus tard décrit comme « futile ». Lors de la deuxième audience concernant la motion du 18 décembre 2015, Me Guilbault a demandé une ordonnance l’autorisant à prendre possession du dossier complet afin qu’il puisse faire des copies de ce dont il avait besoin. Les appelants se sont à nouveau opposés à la requête, invoquant le privilège d’avocat.
[5] L’ordonnance du 18 décembre 2015 a requis que les appelants remettent la possession de leur dossier complet à l’intimé, aux frais de Me Guilbault, et que le dossier soit retourné au cabinet des appelants deux semaines plus tard. Pour accorder la motion, le juge de motion a pris en compte un certain nombre de facteurs, notamment :
· qu’il y avait un désaccord concernant la raison pour laquelle la relation avocat-client avait cessé;
· que les droits des tierces parties (l’épouse dans l’instance en matière familiale) seraient atteints si l’accès au dossier était refusé au nouvel avocat de l’intimé;
· qu’il était nécessaire pour le nouvel avocat d’avoir accès au dossier complet pour avoir une perspective complète de la procédure;
· que Me Burdet avait commencé une action civile en ce qui concerne les frais légaux impayés, de telle sorte qu’il avait un autre recours contre l’intimé que celui reposant sur le privilège d’avocat.
[6] Les appelants ont interjeté appel devant cette cour.
[7] Dans leur appel, ils ont d’abord soulevé un certain nombre de questions. Ils soumettent que la possession physique par l’intimé et son avocat de l’entier dossier n’était pas nécessaire et nuirait au privilège d’avocat et à l’action qu’ils ont intentée contre l’intimé. Ils reprochent au juge de motion de ne pas avoir imposé à l’intimé des termes et conditions appropriés afin de protéger l’action et le privilège des appelants. Ils demandent une ordonnance leur permettant de conserver le dossier original et fournissant un accès au dossier à condition que l’intimé verse une somme d’argent en cour dans l’attente d’une décision sur leur réclamation contre l’intimé.
[8] Pour les raisons qui suivent, nous concluons qu’il est inutile de déterminer si le juge de motion a commis une erreur susceptible de révision dans sa décision sur la motion de l’intimé.
[9] À titre préliminaire, la question de savoir si cet appel est devant la bonne cour se pose. L’intimé affirme que l’ordonnance faisant l’objet de l’appel est interlocutoire et que, dès lors, l’appel doit être porté devant la Cour divisionnaire avec autorisation, selon l’article 19(1)(b) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, chap. C.43. Nous ne sommes pas d’accord. Les appelants étaient des tiers ou « étrangers » au litige matrimonial dans lequel la motion a été introduite. Bien que l’ordonnance soit interlocutoire entre les parties puisqu’elle ne dispose pas du litige entre elles, la jurisprudence actuelle indique que l’ordonnance est finale pour les appelants et l’intimé pour les besoins de l’appel de l’ordonnance par les appelants : voir Royal Trust Corporation v. Fisherman (2001), 55 O.R. (3d) 794 (C.A.), au par. 12.
[10] En ce qui concerne le fond de l’appel, les appelants ont modifié leur position au cours de l’audition de l’appel. Ils ont renoncé à leur argument selon lequel ils ne pouvaient pas être obligés de fournir la totalité du dossier. Au final, ils acceptent de remettre tout ce qu’il y avait au dossier (en lien ou non avec la procédure en droit familial, y compris les « documents financiers »), mais dans certains cas, ils proposent de produire des copies plutôt que les originaux.
[11] Me Burdet explique qu’il est réticent à donner, même temporairement, la possession des documents originaux signés ou initialisés par l’intimé, comprenant des documents tenus à titre de sûreté accessoire des sommes dues par l’intimé à l’appelant. Il s’inquiète que ces documents soient altérés, perdus ou déplacés par inadvertance ou non, ce qui mettrait en péril la demande des appelants contre l’intimé pour les frais légaux et autres impayés.
[12] Les appelants s’inquiètent également des coûts d’impression du dossier archivé de manière électronique et s’opposent à la demande d’obtention du « dossier continu » formulée par Me Guilbault (selon eux, cette demande impliquerait obtenir des documents du dossier de la cour) avant que le dossier soit remis.
[13] Me Guilbault consent à essentiellement tous ces termes. Il accepte les versions électroniques des documents archivés de manière électronique et indique que les copies des documents signés ou initialisés par l’intimé ainsi que les copies des certificats d’actions sont satisfaisantes. Bien qu’il ait souhaité que le cabinet de Me Burdet prépare un dossier continu, l’ordonnance d’origine n’avait pas requis des appelants qu’ils obtiennent et copient les documents provenant du dossier de la cour.
[14] Après avoir entendu les deux avocats, nous sommes d’avis qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si le juge a commis une erreur en rendant l’ordonnance faisant l’objet du litige et qu’une modification de l’ordonnance répondant aux inquiétudes des appelants sans causer de préjudice à l’intimé ou Me Guilbault est la solution appropriée.
[15] En conséquence, l’ordonnance du 18 décembre 2015 est modifiée de la manière suivante :
· Les appelants ne sont pas obligés de transférer la possession des documents originaux signés par l’intimé ni des certificats d’actions contenus dans le dossier, mais doivent permettre l’inspection des documents originaux et fournir les photocopies desdits documents à l’intimé ou à Me Guilbault, aux frais des appelants.
· Tous les dossiers, documents ou communications archivés dans le dossier de manière électronique peuvent être fournis tels quels à Me Guilbault. En d’autres termes, les courriels et autres documents conservés sous forme électronique n’ont pas à être imprimés.
· Plus précisément, toutes les plaidoiries, tous les affidavits et autres documents qui se trouvent dans le dossier continu doivent être produits sous la forme dans laquelle ils ont été conservés dans le dossier. Il n’est pas requis des appelants qu’ils assemblent les documents du dossier sous la forme d’un « dossier continu » ou qu’ils obtiennent des copies de tous documents du dossier de la cour.
[16] Ces modifications sont conformes à l’esprit de l’ordonnance du juge de motion et protègent les intérêts légitimes des parties. L’appel est par conséquent accordé sur ce point seulement.
[17] Du fait de l’abandon par les appelants de leur argument principal et de leur changement de position pendant l’audition de l’appel, lors duquel ils ont accepté de se conformer à l’ordonnance du juge de motion sous réserve des modifications consenties par l’intimé, les dépens de l’appel sont accordés à l’intimé pour un total de 5 000 $ tout compris.
« K.M. Weiler j.c.a »
« R.A. Blair j.c.a. »
« K. van Rensburg j.c.a. »
[1] Bien que l’intitulé de la cause indique de manière erronée un appel entre les appelants et l’intimé, la motion et l’ordonnance ont eu lieu à la Cour supérieure de justice, procédure no. FC-09-854 entre Chantal Brisson, demanderesse, et Daniel Gagnier, défendeur, et l’appel aurait dû être intenté sous le même intitulé de la cause.